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ABYSSES

J’arrive chargé d’un gros sac à poser, sur lequel est inscrit MIGRATIONS, étant moi-même plus « nomade » que sédentaire. Plusieurs spectacles dans le sac, oui, gros comme une outre. L’ouvrir au risque des tempêtes, ça vaut le coup. Parler des frontières, des limites à franchir. Sujets qu’il ne faudrait pas trop remuer ces temps-ci, ou peut-être,au contraire qu’il faudrait agiter pour sortir des ténèbres.

L'Odyssée - la Méditerranée - les Migrations.

Les migrations. J’y travaille en diverses interventions et par motifs. Il y a des spectacles et il y a des engagements. Engagements qui m’amènent auprès de l’équipe du Navire Avenir - en première ligne. Les spectacles sont relatifs aux migrations anciennes. Frontalier comme un long récitatif des migrations industrielles, pièce-poème de Jean Portante que j’aime à déplacer sans technique en tous lieux. Et, en préparation pour 2025, Abysses pièce magnifique de Davide Enia, conte du réel ou journal de bord à Lampedusa sur lequel je me lance en duo père/fils avec mon Léon de fiston, ex-elève du TNS. J’ai voulu me saisir au pied de la lettre de la situation du récit : nécessité soudaine des liens familiaux face à la catastrophe régulière dans l’île de Lampedusa. Cela m’a semblé juste pour le théâtre à constituer maintenant, loin d'un requiem improductif, c’est un récit de sauvetage.
Tout repose sur le désir de faire entendre les mots, la force réelle d’un auteur. En espérant que cela trouve écho sur nos scènes.

NB- Le sac à Jac estampillé "Migrations" se complète d’un travail feuilleton sur l’Odyssée, avec son traducteur aux éditions POL : Emmanuel Lascoux. Autrement dite, la Méditerranée creuset de nos cultures européennes et laïques. Avec Lascoux nous alternons "à deux voix pour deux langues, sans qu’on ne sache plus laquelle est d’aujourd’hui, laquelle d’hier, puisque l’accueil du grec dans le français redit le droit sacré de l’hospitalité. ».

**Bien à vous, cordialement..... JacB ¨¨

NOTE JOINTE : La pièce se présente comme le carnet de plusieurs séjours à Lampedusa, cette île italienne identifiée désormais par ses accostages sans nombre. L’objectif de l'auteur est de nouer son vécu familial (son père - son oncle Beppe) au drame de ces familles échouées. Il injecte un matériau documentaire, composant une rythmique saisissante, mots des sauveteurs et ceux des pêcheurs, des habitants de l’ile à propos de ces destins naufragés qui viennent bouleverser leurs rêves et leur travail.

**Abysses de Davide Enia (traduit de l’italien par Olivier Favier) 
   interprété par Léon et Jacques Bonnaffé**   

Au premier abord, la pièce se déroule à Lampedusa depuis qu'y échouent des centaines de réfugiés. Elle ne s’en tient pas au cri d’alerte ni à rejouer cette effarante actualité avec les peurs qui nous gagnent depuis notre abri protégé du théatre, depuis l'Europe. L’auteur s’autorise un conte autobiographique pour mieux dépasser les stupeurs vaines. Portrait d'une relation familiale bouleversée par ce séjour, celle du père au fils - du fils écrivain au père taciturne - relation qui n’avait rien connu de cette intensité depuis quarante ans. Mais la pièce ne s’en tient pas là, elle dit son attachement à un vieil homme qui va mourir, l’oncle du narrateur, complice volubile, qui espère échapper au cancer avant d’être emporté à son tour par une dernière lame. Et bien sûr elle ne s’en tient pas aux morts, cette pièce. Mais à la formidable réaction des sauveteurs, à ce que l’on sait de réalisable, en dehors de toute tergiversation morale, au-delà de toute spéculation politique. Description technique du métier des marins d’où émerge cette décision de sauver la vie. La "beauté du geste" forme une boucle avec la réactivité des amis présents sur cette île. C’est une pièce qui nous remonte à la surface, nous permet non sans rage de sécher nos pleurs, de prier tout au moins. Raison pour laquelle elle doit être mise en scène sans images projetées, sans vidéos (la note de l’auteur est formelle sur ce point). S’en tenir à l’écoute, au deuil et aux présences, s’en tenir aux mots et aux silences. Dans l’habitude de répétition de la Cie faisan, c’est par l’esquisse au plateau que naît la mise en scène. Et cette pièce comme en train de s’écrire, en forme d’un journal intime à deux voix, déjà se joue. Nous préférons la distribution lisible père / fils, pour délier la parole. A l’orée d’une cérémonie qui s’apparente au deuil ou peut-être mieux, à ce coup de sang-froid qui précède l’enterrement. Quand les gestes se font d’eux-mêmes. On ajoutera un travail développé du chant, suggéré par l'auteur : celui des pêcheurs italiens de Lampedusa (et d’autres chants, grecs ceux-là)

La pièce est associée aux missions de SOS Méditerranée ainsi qu' au chantier naval pour l’Europe de l’association du Navire Avenir.

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