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Jugez sur Pièces - le Chantier

Que se passe-t il avec les écritures théâtrales; toutes ces sortes de feuilles qui viennent frapper contre la porte hyper-cadenassée des fabriques officielles ? N'importe quel lecteur des comités de lecture peut vous le confirmer : nous recevons de plus en plus de pièces, malgré la difficulté à les voir montées. Oeuvres qui ne sont pas plus modestes, ni économes ou adaptées aux contraintes, non, des textes effrénés, côtoyant l’impossible. Les auteurs semblent rêver. Si bien que pointe le nez d'une théorie possible d’un « Rêve toujours ». Si tu ne peux réaliser tes projets rêve les debout, c’est ce qu’espère le public en tous cas. Rêver. Amener un autre processus de diffusion, sauter l'étape de la mise en scène accomplie, retrouver un niveau de langage théâtral immédiat, laisser à vue l'écriture. Cette nouvelle émergence impose ses priorités : trouver des lieux moins confidentiels à la création d'auteurs et des heures inattendues, être d’heureux troubles-fêtes de la programmation-abonnés, s’imposer comme présence activante, rappeler la mission de service public et l’intérêt du spectateur, lors de formules ouvertes et foraines, c’est à dire offrant la voie à déambulation entre les pièces.

JUGEZ SUR PIECES

L'objectif déclaré était de se lancer dans le parcours immédiat de plusieurs pièces récentes, publications datant d'il y a deux ou trois ans au plus. Donc, sur un plan de formation, acquérir une curiosité neuve, saisir quelques thèmes en cours dans l'édition théâtrale, faire de sa pratique d'acteur - diction, geste, écoute et connivence entre partenaires - une façon de décrypter les textes, un mode d'étude et d'appréhension. A l’opposé de cette prudence qui oblige à ralentir le pas devant l'écriture, à prolonger "la table » ou retarder l'interprétation de façon à mieux cerner le mystère scénique. Toutes précautions très vite compensées par des avantages qu'il conviendrait de pousser dans les écoles de formation d'acteur : désinhibition rapide et droit à l'erreur productif, responsabilisation partagée dès les premières mises en espace, séances de dramaturgie sur la bête plutôt qu'à table, goût de l'action, fractionnement rapide en petits groupes car nous pouvons aborder plusieurs pièces de front, répartition tournante des rôles, réduisant les tendances concurrentielles dans le jeu. Il faut à la fois des grands rêves et un tout petit rien de fortune pour habiter l'écriture. Le texte même est le préalable à tout théatre puisqu'emblématiquement la chose la mieux partagée, interface entre une pensée et sa reconstitution, entre persectives et paroles. Chacun peut se faire l'acteur improvisé d'une pièce, en dehors de tout décor et de tout appareil. Cela remonte à la nuit des temps, c'est la splendide histoire de Jacques Lacarrière découvrant la Grèce en 1947 avec le groupe de théatre antique de la Sorbonne et jouant des pièces de Sophocle sur les ruines d'Epidaure. Rien n'empêche ces pratiques en 2014 et les lieux s'offrent à nous, l'espace formidable proposé par le CDN à la Friche de Besançon s'est vu fractionné et bousculé dans ses usages, on répète ici au foyer sur quatre mètres carrés ou dans une salle de danse, là face à une ouverture de huit mètres. On s'approprie un périmètre, l'esprit Chantier est le plus clair traducteur de notre action : laisser voir les structures dans la construction, jouer le texte et s'empêcher de jouer complètement, revenir au déchiffrage, essayer les choses, tester les matériaux, préfigurer les conflits et les scènes en leur laissant une sensation d'esquisse. L’écriture parle. Sur ces bases on peut travailler des heures sans fatigue, on s'étonne de voir se dessiner les formes comme on percevrait un bâtiment. Autre aspect quotidien, celui-ci activé par les échauffements physiques et respiratoires du matin, celui d'une prise de contrôle non réfléchie, musicienne, instinctive, une école de l'écriture dans l'instant. L’échange ici se fait entre gens du même métier et professionnels pour la plupart des stagiaires, la gamme d’expérience et les qualités des interprètes se répondent, multipliant les voies de recherche, ou permettant - c’est plus exact - de resserrer le faisceau au plus prêt du résultat cherché. Le chantier ouvrait aussi sur des discussions et des rencontres, celle passionnante de François Berreur, éditeur pour le théatre installé à Besançon avec les Solitaires Intempestifs, des rêveries menées ensemble sur des possibilités publiques de ce type de réalisations, et d’un engagement futur dans ces domaines. Une présentation publique conclut le stage, mettant à l’épreuve cette unanime conviction que l’écriture d’aujourd’hui captive les publics, tous les publics, pour peu qu’elle s’offre dans une vraie diversité. Les choix d’auteurs et les pièces, présentées dans des extraits de 20 minutes, vont dans ce sens. Chacun repart séduit des découvertes rapides, et des possibilités publiques qu’elles laissent entrevoir.

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