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L'Oral et Ardoises... Souvenirs libations.

Ce métier est un voyage. C'est en tous cas ce qui nous en ressort de plus chavirant, à travers l'espace comme à travers les mots. Quelquefois l'inconnue est la destination. Pouvais-je m'attendre à tant d'émotions lors de cette invitation de Jean-Marc Challoilleau, l'Hostréiconteur de l'île d'Oléron : un théâtre bâti de toutes pièces ré-intégrant les anciens pieux d'élevage de l'huitre, d'où son appellation Théatre des ardoises. Le texte ci dessous raconte l'épisode, et les mots d'affection en retour. C'est témoigner aussi qu'aujourd'hui une des batailles essentielles se joue-là et non entre Odéon et nominations, préservation des titres de gloire et compagnies j'en passe... Mais dans une action de terrain, un réel besoin de théâtre qu'il ne faut pas décevoir et qui s'impose comme lutte contre la culture gratuite ou le vide total instauré par nos modes économiques et les hypermarchés

L'Oral et Ardoises

On arrive un soir, panique à bord, en se demandant comment ça va bien se passer dans ce cirque d'ardoises. Il ne suffit pas qu'un lieu soit agréable, pardon, il ne lui suffit pas d'être incroyable ou d'une si fraiche archéologie pour faire une belle recette de théâtre aux fruits de mer, fallait encore passer le cap des claires, enfumer le moustique  et réchauffer le parterre. A ce stade des inventaires mon staff managérial me conseille de passer sous silence notre arrivée par bateau, après paralysie totale du trafic du port de la Rochelle par Chailloleau menaçant de se jeter à l'eau, y faire la planche pour bloquer la rade si la dernière navette partait sans nous, égarés sur le ponton d'en face, arrivés à bout de souffle : si je ne vous épargne pas le détail de la traversée, notre éblouissement premier sur l'île et les premiers verres à la tombée du soir, on y est encore dans trois pages. On n'a effectivement pas perdu de temps à réfléchir, ayant laissé les trente tonnes de décors de ma tournée loin derrière, nous avons fait un long réglage technique du type : on le fait ? Et après je ne me souviens plus de rien... Si ce n'est que je me suis cru une mouette, phénomène assez fréquent au théâtre, mais cette fois pour des raisons vraiment marines parce que le public de ce soir-là m'a porté sur son souffle d'envie, jamais je n'avais gouté telle vague ni surfé pour une fois par-dessus tant d'attention amoureuse. Je ne veux pas laisser supposer que tout n'y fut pas claire ou que l'air ait été embrun de quelque mystère, mais vraiment je me suis trouvé dans un état second : l'opposé en sensation pure des parkings où l'on peut garer pêle-mêle public, guignol, concerts, et marchands de glaces, tout ça hyper-top-pas-cher, hyper-fun et hyper sans grâce. Il y a Leclercq et les Claires m'a expliqué un autochtone, ajoutant que s'il fallait défendre la culture autant y joindre la beauté sous forme d'un biotope-top associant culture et culture, celle des huitres à celle des grands esprits du grand large. J'ai définitivement accepté que l'ardoise n'était pas une tuile depuis ce 20 août sur l'île, loin pour moi de la brique et de son accent minier. Gratitude dégoulinante en premier chef à l'huitre d'Oléron, la Belle pour qui tout commence au pieu, sans allusion aucune à la moule des braderies d'une enfance inculte ! A trop rester dans le même bassin, fut-il houiller et riche de ses géologies lointaines, on fossilise ses émotions : jamais encore on ne m'avait si délicatement proposé de venir m'envaser ! Merci donc en deuxième premier chef à Jean-Marc croisé sur la route enchantée des festivals de conteurs-colporteurs-mareyeurs-achalandeurs-poètes ainsi qu'à toute l'équipe du "Tous au Pieu" pour ces jours de bombances, avec l'impression comme jamais d'être arrivé les mains dans les poches, d'avoir tout jeté dans l'arène d'une grande gerbe de mots belges à la face de la nuit, puis d'avoir été recueilli par des bras secourables, l'applaudissement de ces mains partant vers le temple d'ardoise autant qu'à ces proférations burlesques. Un proche ami d'Artaud, vieux fou des théâtres, racontait que l'importance de ces lieux n'avait pas à voir avec la quantité, ou l'audience estimée, mais s'apparentait plutôt à une réunion de quelques grands sorciers, âme instruite de notre société du "Tout-Monde". Cela vaut pour le public et l'arène insolente au fond des golfes Claires, avec l'aide du poète inspiré Jean-Pierre Verheggen inventeur du fameux parler grand Nègre. Nous étions au-delà des continents et avons fait drôlement avancer la politique cette nuit là. Ce qui explique cet accueil et cette tendresse émolliente dans les bars qui suivirent et à quelques tables que nous ne sommes pas près d'oublier. Au delà des tempêtes et des inquiétudes économiques, l'île protège et partage.

Réponse de Jean Marc Chailloleau : Merci mille et une fois pour cet unique début de nuit qui restera imprimée dans nos coeurs pour si longtemps encore ! Jamais il est vrai je n'avais encore à grands coups de gueules et amabilités persuasives tenté de retenir à bout de mots un aussi gros bateau ! Jamais je n'oublierai ces deux êtres si désirés courant éperdus vers le quai, vers nous ... rien de grave ne pourrait plus arriver désormais , ce serait donc une super soirée ! Quand dans dix ans nous parlerons du théâtre et de tout ce que nous allons y voir et entendre , nous reparlerons obligatoirement de cet oral et ardoises avec tendresse, avec passion , avec amour . C'est comme ça il y a des jours ou il faut être là et ce jour là c'était toi Jacques ! Merci de prendre le temps de nous donner tous ces jolis mots que nous allons nous empresser de faire briller comme nous le pouvons . Nous ne pouvons plus attendre l'île d'Oleron souffre depuis trop longtemps de la guerre des marchands, des guignolades et autres concerts à deux balles des gendres aux adjoints aux affaires culturelles des communes, chargés de mission aux animations estivales, attachés agriculturels pour les foires aux permis de construire . Nous avons besoin de belles histoires de jolies musiques. l'île d'Oleron étouffe de son pognon et nous avec eux nous nous mourrions à petits feux ! Mais nous voici enfin debout sur nos pieux, avec vous, artistes, musiciens, clowns, saltimbanques de tout poils qui vont enfin nous chanter autre chose que ces refrains aux reflets d'argent dont on nous abreuve ici depuis si longtemps ! C'était pour moi si impensable, si inespéré il y a encore si peu de temps de faire venir autant de gens sur et dans ces marais pour y entendre des choses autrement; Et bien voilà c'est fait et bien fait et ma parole ce n'est pas prêt de s'arrêter !

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