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Matin blème de Printemps (1er mars 2018) / ouvrir sa gueule

J’ai ouvert ma gueule, il n’en manquera pas pour dire que je voulais me faire une petite performance, d’autres me diront merci. Parce que le Printemps des poètes s’ouvrait avec une aubade de la Garde Républicaine, jardins du ministère, rue de Valois, une idée nommée “surprise” de sa jeune directrice artistique. J’ai hurlé pour tous ceux qui ont fait cette manifestation dans toutes les villes, en toutes circonstances : Mais elle est où la poésie ? J’ai fait ma manifestation de bribes et de mots cassés, sur place, rappelant Rimbaud pour mémoire, vous savez ... la place taillée en mesquines pelouses, square où tout est correct les arbres et les fleurs. C’est affreux la musique militaire dans le froid, avec un Printemps couché les yeux vides et c’est une vraie corvée pour l'auditeur, la musique militaire évidemment insistée, statique… tout sauf l’ardeur ! Disons le plan-plan discipline. J’ai hurlé devant ce petit cénacle réuni qui trouvait l’idée plaisante, un peu second degré, allons ! Et le symbole sans conséquence. Gueulé pour tout ceux qui n’étaient pas là et qui auraient sifflé tambouriné et réclamé d’autres voix, une fanfare punk pour équilibrer, des témoins d’autres mondes, des gosses de Bobigny, ceux qui se retrouvent sur la dalle Paul Eluard pour écrire la poésie, des poètes Syriens en exil. Tout ce qu’il faut pour rappeler à Gérard Colomb qu’il y a des voix divergentes et que l’accueil est une règle poétique nouvelle. Je ne dis pas que les militaires n’ont pas le droit d’aimer la poésie, et ils ne manquent pas d’amoureux solitaires et d’experts en citations, je dis que ce petit bataillon s’en foutait totalement, autrement ils n’auraient pas joué une musique si con. Nous voilà réduits aux arguments de Brassens, soixante ans en arrière « la musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas ». Elle est la pire des poésies, sans perspective, nul ange bleu plumé par Ernest Pignon Ernest ne suffit à la relever du ridicule. Sans présager du reste, cette aubade au pied des bâtiments officiels du ministère de la Culture, uniformes au garde à vous, public ennuyé, moment obligé, n’est pas représentative du Printemps des poètes dans touts ses états, dans toutes ces régions. Cette impulsion maladroite, à l’image de la mesure raide et binaire donnée par le chef de la musique, ne doit pas trop céder aux fastes officiels au risque d’y caricaturer la mauvaise poésie. Quid des alternatives, des initiatives ? Parlons concret, parlons des auteurs et des éditeurs, des acteurs clés, des relais, des médiathèques, comme dans n'importe quelle manifestation littéraire. La direction de cette manifestation vient de toutes parts et non d’une personne. A chaque instant le Printemps des poètes doit répondre de ce qu’il fait naitre dans le tournoiement, et non d’une distinction vieille France, au doux bruit des médailles. Chaud, chaud le printemps sera chaud ? Les poèmes sont comme la mémoire des peuples, en ces semaines héritières de 68, il est nécessaire de mal se tenir.

Jacques Bonnaffé

**Article du Canard Enchainé***: LE PRINTEMPS DES POÈTES… DE CASERNE

La 20e édition du Printemps des poètes a été inaugurée le 1er mars, au ministère de Culture. Cette année, la nouvelle directrice artistique, Sophie Nauleau, a eu la riche idée de convier la fanfare de la Garde républicaine à jouer du clairon sous les fenêtres de la ministre dans les jardin, du Palais Royal… Le comédien Jacques Bonnaffé s'est indigné, le verbe haut, sitôt joué la première marche militaire :" On doit déjà s'incliner chaque année devant le ministère, et il faudrait en plus, s'agenouiller devant l'armée ! Et l'évêque ? Ou il est, le clergé ? » Pris d'une fureur sacrée, il déambule entre les invités, tandis que la fanfare se fige au garde-à-vous : « Ça veut dire quoi, d'ouvrir le Printemps des poètes sur des airs militaires ? » Et de citer Prévert :« Rappelle-toi Barbara. Quelle connerie, la guerre. » Puis il s'écrie :« Elle est où, la poésie ? Elle est où ? » * De son côté, Sophie Nauleau joint les mains en prière devant la Garde républicaine : « Merci infiniment à vous... Il est saoul, il est saoul ! » Élégant... Licence poétique ou licence IV, faudrait choisir. C'est vrai que s'emporter contre l'armée est un signe indubitable d'alcoolisme ! Bonnaffé reprend sa harangue et tonne : « La poésie est faite de crieurs, de grands crieurs ! Elle se passe partout en France et pas au garde-à-vous devant la Rue de Valois » (...). C'est une invitation à saluer le drapeau, à s'incliner, à baiser les pieds de l'armée... Quelle comédie on nous fait jouer ! » Désormais, il se débat face à trois agents de sécurité, sans doute sollicités par l’organisatrice. Pour clore la cérémonie - ou faire taire Bonnaffé, trois gardes républicains martèlent ensuite l'enclume pour forger un fer à cheval.., que Sophie Nauleau s'empresse d'offrir à la ministre, en lieu et place d'un volume de poésie. Et de se justifier :« J’ai eu cette idée un peu folle d'allier Vulcain à l'ardeur poétique. » Elle a aussi eu l’idée un peu folle de convoquer Mars, dieu de la Guerre... au risque de réveiller la foudre !
A l'issue de cette parade, les gardes républicains ont été conviés à boire un coup dans les salons de la Rue de Valois. Bizarrement, le « soulographe » Bonnaffé n'est pas monté trinquer aux Muses avec eux.

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