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PASSER LES BORNES- Frontalier

Frontalier est une méditation automobile qui trouve son roulement par la parole. Frontalier tresse une histoire personnelle traversant plusieurs fois la frontière comme le font les travailleurs frontaliers de France à Luxembourg. Et comme l’ont fait ses parents ou ses grands-parents venus d’Italie. Jean Portante, par jeu d’association facile, est un bagage à lui seul, pèlerin impénitent, auteur éditeur-relieur, l’homme des liens, et aussi médiateur traducteur et poète.

C’est un très beau texte Frontalier ( mon métier est de le savoir… ), très incroyables ces méandres intimes qui se mélangent aux méandres du serpent automobile quotidien. Ces travailleurs dans l’embouteillage prolongeant au fond d’eux-même ce corps migrant depuis Enée le premier fugitif, battant à rythme quotidien l’aller et le retour, le retour et l’aller, la partition chantée du choeur des anonymes de Lesbos ou de la Roya, fredonnée au volant sur une route de Moselle ou du Luxembourg. Cet aria des souvenirs de Jean, croisant plusieurs voix en sa chanson de lui-même transporté, jusqu’à des dizaines de voix, une famille un peuple, un passé donc une histoire et devant nous, l’embouteillage. La vie stoppée, l’absurdité de l’économie mise à plat dans une préfiguration de grand désert. On entend le vent qui assèche, la mort fossilisant nos paysages industriels puis nos routes et bientôt nos banques, nos commerces, nos édifices… la course du passé sous nos yeux détalant, et ce geste irrépressible, tic-tac, vérifier l’heure au poignet ou sur le tableau de bord, s’assurer qu’on est assez en avance pour être encore à l’heure. Tant pis si tout est bloqué. Faire rouler les automobiles c’est pour en vendre encore et déplacer ces transhumants résignés, les nourrir les habiller, les salarier et qu’ils aient un peu d’argent à dépenser, alors que d’autres perdent leur vie à venir se heurter aux murs des frontières. Deux voix rivalisent en ce monologue, l’une veut taire l’autre (mais laquelle) et n’y parvient pas : ça discute et soliloque. Ironique passe d’armes des voix intérieures, cette agitation en réveille d’autres, venues de très loin, ancêtres, parents ou fantômes enfantins et ces doubles de moi-même empoussiérés, l’héroïque tout seul, l’enfant fabulant…. Je les garde au chaud pour l’assaut, laissant monter leur indignation.

Nous, les acteurs, nous aimons bien prendre le volant, même si à l’heure du risque zéro, il reste peu de chose de la fureur de vivre… C’est un jeu d’enfant et nous mimons la vitesse à la fenêtre. Cette fois je dirai la lenteur immobile du grand serpent des autos, j’irai chercher les mots de Jean Portante et l’exercice se révélera difficile, démêler bien sûr et porter cette affection familiale que je n’ai pas en moi de cette manière, cet amour tenaille de la famiglia, la presque dévotion au visage du temps

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