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Voyage à Grande Synthe
Journée qui ne fut pas épuisante de mon côté, ayant par chance choisi le bon jour, ensoleillé, je n’aurai pas donné cher de nos humeurs mardi dans la froidure. La décision du maire de Grande Synthe, Damien Carême est à saluer et à soutenir nous avons traversé le nouveau camp établi, des bungalows pas des Algécos, un village de bicoques en bois, nivelé gros cailloux, sur un kilomètre avec du soleil et des gamins qui galopaient dans ces heures de répit hors des boues et de la crasse de la jungle évacuée
TEXTE :
Prendre au matin un TGV direction Lille, retrouver des amis pour rouler vers Dunkerque. Passer cette journée moins froide que les précédentes sur le nouveau camp de Grande Synthe, on se dit qu’à défaut de pouvoir être utile, on comprendra un petit bout de cette histoire qui ronge notre quotidien désormais. Faut-il vouloir des camps, passages vers l’Angleterre, est-ce la solution ? On sait que sitôt supprimés ils renaissent, ne pas se voiler la face, depuis des mois la jungle s’embourbe et son évacuation récente vient déplacer les urgences. Dans le TGV des voix diffusées nous rassurent qui nous confirment que nous roulons vers Lille et puis - dans au moins deux langues - que nous sommes bien arrivés, vérifiez de ne rien oublier à votre place, l’Alliance Rail Team veille à notre sécurité . Nous marchons sur un quai, foule pressée d’individus isolés déjà plongés dans le travail et les réunions, peu de regards. Au café - passez votre commande nous vous servirons - rendez-vous avec le Grand Nicolas, il reçoit les dernières nouvelles des installations à Grande Synthe, les derniers déplacements se sont déroulés sans violence. On construit la-bas à la hâte des bungalows de bois qu’une entreprise proche a mis au point et fourni, il dit en souriant que « les campeurs » seront mieux logés, logistique assurée par MSF pour un coût de 2,5 M. Nicolas travaille depuis des années à médecins sans frontières. Sur la route, soleil mais averses des petites nouvelles, une yourte est arrivée de Suisse, fruit d’une association de donateurs et d’humanitaires. Description mosaïque des camps et des vies là-bas, l’intense carrefour des volontés bonnes ou mauvaises, des exils et des sauvetages. Explication des rendez-vous, nous essaierons de rencontrer la mairie mais nous allons d’abord voir ces réalisations arrachées à l’opposition du préfet, garant de la sécurité et du pourcentage d’inflammabilité. Mais qu’est ce qui prend feu, sinon l’indifférence ?
Éteindre l’incendie pour l’équipe municipale autour de Damien Carême, c’est identifier les besoins, apporter des solutions en comptant sur l’initiative des migrants et ces volontés multiples, bénévoles ou désordonnées, humanitaires et structurées, qui sont là et seront toujours là, c’est veiller à un minimum sanitaire à des nécessités premières et distribuer équitablement les aides, c’est analyser le potentiel d’activités développées autour de cette urgence, et trouver un terrain favorable à des solutions futures, puisqu’il faudra toujours des camps, comment vouloir l’ignorer. S’ils doivent se regrouper dans ces villes, c’est que d’autres doivent y apporter leur contribution. Nous sommes maintenant dans une grande région. Qu’attend-elle pour le signifier ?
Curieuse impression dès les premiers pas dans le camp établi sur un long kilomètre dégagé entre voies ferrées et autoroutes, on s’y sent bien. Pas d’annonce micro pour confirmer que nous sommes bien arrivés, on a le sentiment d’un ensemble. Les voyageurs débarqués là se font signe, il y a des hommes arrivés du fond des géographies, ils marchent sans fin, des volontaires sans frontières, ceux qui ont connu Basroch, la jungle chaos, et se retrouvent sur un sol dur rassurant, des effusions des cris, des groupes d’enfants, des femmes, des ouvriers municipaux montant encore des rangées de cabanons solides, des bras chargés, des échanges, des regards silencieux. Parler, tenter d’inventer des mots passerelles. On s’y sent bien parce que, tout Babel que ce soit, ça construit ! Ca reconstruit sur le construit : on ajoute un abri tente, un plancher de fortune devant l’abri, des isolations. On s’y sent bien mais on n’y restera pas, on est en transit, on peut recharger les téléphones dans le hangar à l’entrée, commercer, se réunir et bientôt briser l’ennui par les musiques. Une ville de bois et de tentes, hors du bourbier, une centrale de l’entraide où parfois naissent les initiatives incongrues et tellement nécessaires, cet anglais bariolé venu cuire des crêpes sur son petit comptoir pliant, il les distribue avec les bonnes odeurs et des flots de musique, le gars qui fait coiffeur parce qu’il a pu sauver une tondeuse de ses pérégrinations, vingt barbes l’entourent. Les institutrices anglaises retrouvant la distinction des bonnes œuvres, et la yourte posée là, en attendant de définir son affectation, la yourte à protéger des appropriations trop rapides.
L’idée d’ajouter à ce minimum de survie des scènes sensibles, de considérer la culture, les musiques la poésie les spectacles comme aussi primordiaux que les couvertures et l’alimentation prendra forme ici. Sans être un parachutage de quelques artistes en mal d’espace. Il faudra l’associer à des propositions émanant des réfugiés. Nous rencontrons un musicien Kurde, surpris d’abord puis désireux de nous faire voir sa page Facebook, sur son portable, petits films lors des cérémonies ou il jouait, là-bas.. On imagine un mariage joué devant le camp, la mariée Liberté et le marié Espoir (qui se fait attendre) la noce défile et rentre en musique dans le camp, on a fait venir des bouts de fanfare mais elles se noient au Jazz Kurde, tout en jouant des musiques on construit une scène, pour les mariés, les discours dans toutes les langues du monde, un écran de fortune, des images filmées, des portraits de leur périple, un petit orchestre de bal, des chanteurs, des poètes.
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