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L'impertinence des spectacles

Il y avait une tradition dans les théâtres il n’y a pas si longtemps, qui ne manquait pas de… Enfin non, qui manquait totalement de… Qui n’avait aucun charme, mais qui ne manquait pas de surprendre… Un type arrivait à la fin du spectacle avec une petite note concernant la question des intermittents, qu’il nous lisait avec une voix forte mais sur un ton neutre. On écoutait ça un peu gêné, le type ou les types en général venaient de jouer, ça cassait le plaisir. Et puis d’accord, finalement c’était une autre manière de rappeler qu’on était au théatre qui valait bien les bravos-mercis. Et dernièrement des gens peu responsables mais très distingués ont remis en service cette usage délaissé : l’intermittent des saluts. On aurait pu s’en passer, il aurait mieux valu, mais force est de reconnaitre que ce retour des traditions dépasse toute attente, ils ont fait fort ! Je crois qu’on peut applaudir Medef et partenaires (rires et sifflets), merci…merci, sans oublier deux clowns irrésistibles quoiqu’un peu gauches, Hollande et Rebsamen, les deux François !!! Et pour que tout soit complet je vous propose de siffler le nouveau précaire et les futurs fins de droits. Ils viennent encore gâcher la fête ( rire et tumulte )

D’abord il faut faire en sorte que tout ce qui va se dire maintenant ne s’adresse pas aux habituels militants, ceux qu’il ne faut plus convaincre, qui ont vu Riposte sur YouTube à toute heure, les courts films de la coordination des intermittents. Nous nous adressons à ceux qui nous connaissent mal, ce quart du public et peut-être moins, que ça ennuie ces revendications apparemment sectorielles, se pensent informés et trouvent rebutante, contre-productive cette clause du communiqué en fin de spectacle ( autant dire en plein dedans). En eux-mêmes ils raisonnent que ça commence à bien faire, ce n’est pas au contribuable à débourser pour telle catégorie particulière et pourquoi aussi subventionner les gens qui ne travaillent pas. Ils ont raison mais ils se trompent. Ce ne sont pas des impôts, ni des fonds publics, mais des prélèvements auprès des employeurs et sur les salaires de ceux qu’on désigne comme cotisants, qui font une caisse, permettant de réduire les creux, les passages à vide, amenuisant un peu, un tout petit peu, les inégalités.

Nombreux dans ces métiers sont ceux qui ne travaillent pas en continu, laissant par la force des choses d’autres travailler pendant qu’ils attendent, de fait ou même par choix. Un complément agréable alors ? Oui dans certaines situations cela constitue des veinards, facilement trop, d’où cette nécessité d’un réglage et d’une rediscussion des accords de 2003. Parce que d’abord ces professions produisent de l’activité et encore de l’activité, rappelons-le, à côté d’autres branches dans cette période pas glorieuse. Eh oui, on ne râlerait pas comme ça si on vous parlait d’une niche ou d’un secteur déclinant : ce régime spécifique du chômage génère du travail. Métiers qui déclenchent d’autres métiers, bien mieux que des produits dérivés et de la confiserie, un ensemble inchiffrable d’activités et d’échanges. De la création de richesses s’il faut employer ce langage. En ce sens nous sommes privilégiés oui, drôlement. A l’opposé des industries automobiles délocalisables qui voient les plans sociaux se succéder, à l’opposé des secteurs sinistrés de la presse ou d’autres entreprises où la qualification semble un frein, privilégiés nous sommes d’un domaine qui déploie son activité sur l’ensemble du territoire jusqu’aux villages, partant quelquefois de rien, essaimant. Et s’aimant (les uns et les autres) en respectant les principes de la concurrence, je vous rassure. Privilégiés, oui, de bénéficier d’une indemnité comme tout chômeur vit à l’abri, pour un temps. Mais s’engager dans ces risques quand même ! Lorsqu’on ne sait pas de quelle déception ils seront payés, et si on va manger, c’est le cas des catégories, vous savez, qu’on appelle les jeunes. Ils n’ont qu’à être moins nombreux ! Mais je suis totalement d’accord avec vous ! Bon, c’est parce qu’ils sont nombreux qu’ils produisent des vagues nouvelles et s’inscrivent. A Pôle Emploi ? Non, faudrait du temps là… Qu’ils s’inscrivent dans l’Histoire. Une histoire qui n’est pas encore écrite, c’est le principe de toute création, de tout film, de tout spectacle, de tout événement. Et au départ on a rien, que dalle ! Il vaut mieux, sinon ça se passe entre riches et fils de… Vous connaissez le problème. D’où nécessité de maintenir cette indemnité, contre l’inégalité. Dans pas mal de cas, l’intermittence contribue aussi à la création, et à la réalisation de rêves ou d’objets nécessaires. Privilégiés nous sommes de générer cette forme de chômage qui produit de l’activité effective, d’appartenir à un domaine qui par sa réussite représente ce qu’on a de mieux en France sans le réserver à un quartier huppé, ou une zone expérimentale. Les cultures c’est tout le territoire, grâce à Malraux et quelques successeurs. J’en connais même qui se sont barrés en Suisse. Mais sans y rien cacher, juste pour porter la bonne parole.

Pour autant nous ne sommes pas des nantis dans les situations actuelles, le salaire annuel moyen des intermittents, 8503 euros, fait de nous de curieux privilégiés quand même. Vous hochez la tête, je sais, symboliquement ces professions seront toujours celles de la chance, du fric à gogo ou des cachets conforts, nos dignitaires n’ont plus le devoir de porter la veste ouvrière chère à Villard, pas plus que l’uniforme pétant des serveurs de fast-food, la réussite leur va bien. Vous ne souhaitez pas connaître le détail des annexes 8 et 10 ni le contenu de la réunion du 22 mars, ni suivre l’évaluation des carences, parce qu’un intermittent, s’il parvient à le rester, est toujours moins dans le merde qu’un chômeur sans droit qui la ferme ? Mais qui a dit qu’on devait s’aligner sur la désespérance ? Le Medef, oui, qui décrète que pour faire des économies il faut payer moins de gens. Il calcule mal. Mais à part Medef & partenaires qui décide ? Cela fait dix ans que les coordinations, les comités de suivi réclament et proposent d’autres calculs que ceux imposés en 2003, générant des pertes et, selon leur analyse, un accroissement d’indemnité pour les plus riches au dépend des plus fragiles, générant un système de droits capitalisables plutôt qu’une démarche redistributrice. Proposent d’autres ressources que des économies visant à évacuer les plus pauvres. En touchant des indemnités bien calculées, on peut rester dans la course, monter des spectacles préparer des films, faire école, imaginer des concerts, tous ces trucs qui ne servent pas, vous savez, autant qu’un nouvel autoroute, un Rond-Point ou un portique Eurotaxe, mais qui nous placent en revanche dans le mouvement de l’innovation et de la recherche. Parce qu’en ces domaines rien n’est figé. Le figé dans tout c’est la tradition. Ce qui nous vient quand on n’a pas d’idée. On refait le défilé de l’an dernier, la reconstitution folklorique des danses du Duc des Echauguettes lors du départ aux vendanges de 23, vous me direz que même pour ça, il faut des intermittents, plutôt des bons. Désengagements, fatigue. Malaise dans la civilisation Das Unbehagen in der Kultur, disait Sigmund : notre mal n’est-il dans cette tradition que la Ve République se fait d’elle-même en sa lassitude : toujours les accointances, toujours les même bonnes places aux mêmes fessiers de la haute administration, des affaires et de l’industrie, la même politique soumise aux financiers. Toujours cette petite idée de la grandeur et jamais celle de l’immensité. Qui consiste à apprécier les perspectives jusqu’aux détails, ne pas appliquer un seul plan, un seul modèle pour tous. En finir avec le Général, ses visions militaires fixant en ligne de mire un retour de tous au régime général. Plus d’intermittents, ça devrait tourner rond ! Autre fantasme, autre illusion : en terme d’économie, cette solution couterait cher, à moins de supprimer le chômage. C’est mal parti. A moins de supprimer les chômeurs. Qui veut ? Voilà le terrain prêt, pour vous décrire quand même la séance du 22 mars, éclairer chacun quand à la nécessité d’un combat sans merci alors qu’un médiateur a été mis en place - contrairement à 2003 - avec une mission prolongeant celle des comités de suivi, s’ajoutant à la mission parlementaire conclue en avril 2013. Vous parler des différés du paiement, du nouveau plafonnement (ridicule), des charges accrues aux employeurs et surtout des système de calculs cabalistiques, de l’héroïsme des personnels de Pôle Emploi, va occasionner des chiffres, des évaluations, des croquis. N’ayant pas le temps d’être bref je serai peut-être un peu long. On peut s’échapper par cette considération étonnante : qui a été choisir ces dates parfaitement incendiaires, juste à l’ouverture des festivals, pour la signature de l’agrément, d’où vient cette méprise, ou ce mépris de la culture ? Comment faire croire à la concertation prochaine quand celle établie depuis des années est bafouée. Est-ce le sens d’un Pacte de responsabilité, que veulent dire les mots prostitués de la politique ? L’anaphore présidentielle ne semble plus couler que dans un cours favorable au Medef, réduire les coûts du travail. Ils ont oublié que ces chômeurs intermittents font du bordel, le dossier était explosif, le voilà lié à celui des intérimaires et des chômeurs. Ce régime d’indemnisation est génial, pour peu qu’on le régule, il n’est pas question de le saborder mais de faire en sorte qu’il produise des économies et plus de spectacles ( pluriel, c’est un pluriel), plus d’activités. On va en avoir besoin.

Renvoi : Aidez-nous à parler d’autre chose oui, bien d’accord, nous devons fuir nos démons. Ces débats sont pichenette à côté de ceux que devraient susciter les futurs accords commerciaux transatlantique par exemple, portant atteinte à travers l’agro-alimentaire, à travers les normes du commerce et le nouveau droit international, à notre exception culturelle… européenne. Toute politique exige une vision culturelle entreprenante, qui dispose des moyens de son action : le budget de la Culture est infime et pressuré, des reculs s’opèrent partout dans la création et la diffusion. La véritable inquiétude et le grand espoir qui doit sortir de ces combats, serait tout autant d’apporter une réponse durable aux intermittents que de soutenir l’accès de tous à la danse, au théatre, à l’art cinématographique, au cirque, à la musique, aux arts divers ainsi qu’aux nouveaux savoirs. Bien d’accord. Nous bénéficions d’une vraie chance, tout est en place, suffit d’amplifier.

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